Faut-il craindre une récession aux États-Unis ?
Keytrade Bank
keytradebank.be
09 avril 2025
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Dans le premier tome de la série Harry Potter, aucun jeune sorcier n’ose prononcer le nom de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, par crainte que quelque chose ne devienne réalité. Dans le monde financier, ce nom existe aussi : la récession.
Ces dernières semaines, économistes, investisseurs et journalistes financiers murmurent de plus en plus souvent ce mot en R. En mars, il est apparu trois fois plus dans les médias qu’en janvier. Les recherches du mot sur Google se sont également multipliées de façon exponentielle.
La question se pose de plus en plus : est-elle vraiment à nos portes ? Ou sommes-nous tout simplement en train de nous faire peur ? Et s’il en est bel et bien question, dans quelle mesure peut-elle nuire aux investisseurs ?
Une récession made in USA ?
La plus grande économie au monde, les États-Unis, est sur des charbons ardents. Après une forte reprise à l’issue de la pandémie, une récession semblait improbable jusqu’il y a peu. Le taux de chômage était bas, les Américains se livraient à une consommation effrénée, les entreprises investissaient et Wall Street battait des records. Mais depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche début 2025, le vent a tourné. Des mesures économiques ont été prises, augmentant considérablement le risque de récession, ou de repli économique si vous préférez.
Le niveau plus bas à ce jour a été atteint le 2 avril, lors de la flambée massive des taux déclenchée par Trump. Un tarif baseline de 10 % sur toutes les importations, avec des taux encore plus élevés sur les pays présentant des déficits commerciaux importants avec les États-Unis.
Même une île déserte n’y a pas échappé. Les produits de base que les États-Unis ne produisent que très peu, comme le café, le thé et les bananes, sont aussi soumis à la taxe. Même les pays dont les importations en provenance des États-Unis sont plus importantes que les exportations vers le pays de l’oncle Sam – comme les Pays-Bas – sont également soumis au même régime.
Expériences économiques
Interrogé par le Financial Times, Olu Sonola, head US economic research de l’agence de notation Fitch, a indiqué que le tarif moyen à l’importation s’élevait à 22 %, contre 2,5 % en 2024. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis 1910, marquant une rupture historique avec l’ère du libre-échange et un tournant pour l’économie américaine et mondiale. Ou pour reprendre les termes de The Economist : le pays qui a été l’architecte du commerce mondial durant ces 80 dernières années, et qui en a bien profité, essaie maintenant de le démolir. Trump a hérité d’une économie en pleine croissance en janvier. Wall Street a spéculé sur une dérégulation totale et une baisse des impôts pour stimuler la croissance. Ces dernières semaines, ces attentes ont pris un tournant spectaculaire. Un coup d’œil sur la bourse en dit long.
Raviver l’inflation, étouffer la croissance
Dans la pratique, les droits de douane élevés fonctionnent comme une hausse d’impôt pour les consommateurs et les entreprises. Le prix des biens importés augmente, ce qui fait grimper l’inflation. Selon les estimations du gestionnaire de fonds Schroders, les nouveaux tarifs pourraient faire enfler l’inflation américaine d’environ 2 points de pourcentage. Parallèlement, les importations plus coûteuses et les éventuelles contre-mesures prises par d’autres pays freinent l’économie américaine, générant une perte de croissance estimée à près de 1 point de pourcentage du PIB. Cette combinaison de hausse des prix et de ralentissement de la croissance constitue une perspective effrayante pour la plus grande économie mondiale : le spectre de la stagflation (stagnation + inflation) se dessine.
Les entreprises américaines sont confrontées à une augmentation des coûts des pièces et matières premières. Comme elles ne peuvent pas répercuter tous les surcoûts sur le client, de nombreuses entreprises américaines verront donc leurs marges bénéficiaires diminuer. En 2018, lors de la précédente guerre commerciale de Trump, les producteurs ont pu répercuter environ 60 % des surcoûts des importations sur les consommateurs – le reste ayant plombé leurs bénéfices. Maintenant que le package est encore plus vaste, les consommateurs vont ressentir des hausses de prix presque généralisées. Un coup dur pour leur pouvoir d’achat.
Code orange
En mars, avant le Liberation Day, la confiance des consommateurs avait déjà chuté à son niveau le plus bas en plus en quatre ans. Raisons avancées par les ménages pour expliquer leurs inquiétudes : les nouvelles barrières commerciales et les hausses de prix. Alors que les Américains restaient optimistes juste après les élections de novembre, cette insouciance a ensuite fondu comme neige au soleil. Les économistes mettent en garde quant aux conséquences que cette baisse de confiance ne manquera pas de générer : si suffisamment de gens resserrent le cordon de leur bourse par crainte d’une récession, celle-ci peut devenir réalité – un effet Pygmalion.
Ce n’est pas le seul signal d’alarme. Les entreprises deviennent elles aussi plus prudentes. Les investissements en capital, moteur de la croissance, commencent dès lors à s’effondrer. Les prévisions pour les investissements des entreprises aux États-Unis avaient déjà été réduites à 1,9 % de croissance cette année avant le Liberation Day, alors que 2,5 % étaient encore attendus début janvier.
La Réserve fédérale entre deux feux
Normalement, la banque centrale américaine (la Fed) est censée intervenir en cas de ralentissement de l’économie. Elle peut baisser les taux d’intérêt pour faire baisser le coût des emprunts, encourager les investissements et donner un coup de pouce à l’économie. Mais la situation actuelle place la Fed dans une position délicate. L’inflation pourrait repartir à la hausse à cause des taxes à l’importation. Dans des circonstances normales, la banque centrale relèverait précisément les taux pour maîtriser une telle poussée d’inflation. Mais dans le même temps, la croissance économique risque de s’assombrir, ce qui plaide justement en faveur d’un abaissement des taux pour éviter une récession. En d’autres termes : La politique commerciale de Trump pourrait provoquer une stagflation incongrue.
Récession inévitable ou inversion de tendance possible ?
Cela signifie-t-il qu’une récession aux États-Unis est inévitable ? De plus en plus d’économistes tablent sur une contraction de l’économie américaine fin 2025. Certaines banques comme HSBC évaluent à 40 % la probabilité d’une récession au cours des 12 prochains mois. D’autres sont plus pessimistes. JP Morgan estime que le risque de récession (mondiale) atteint désormais 60 %.
Pourtant, rien n’est encore absolument sûr. Selon certains scénarios, la tendance va s’inverser ou les dégâts resteront limités. Trump lui-même envoie souvent des messages contradictoires. D’une part, il caresse pour l’instant l’idée qu’il faut « souffrir un peu » pour réaliser son rêve d’un nouvel âge d’or américain. D’autre part, le président a déjà suggéré que des exceptions étaient possibles. Il est donc tout à fait possible qu’il mette un coup de frein (si Wall Street commence vraiment à se cabrer ?). De plus, en cas d’affaiblissement considérable des données économiques dans les mois à venir, la Fed pourrait encore assouplir ses politiques plus agressivement qu’on ne le pensait – même si cela reste en équilibre sur une corde raide avec l’inflation.
Il faut aussi garder à l’esprit que les récessions sont difficilement prévisibles. En 2007, seuls 38 % des économistes prévoyaient une récession aux États-Unis, juste avant la plus grande crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. En 2022, 63 % prévoyaient une récession aux États-Unis, alors qu’elle n’est jamais arrivée. À l’époque, il n’était toutefois pas question d’un conflit commercial de cette ampleur. Aujourd’hui, tant certaines données objectives (comme la baisse des investissements) que des données subjectives (confiance, sentiment boursier) pointent progressivement vers une période économique plus froide aux États-Unis. La situation dépend en majorité d’un seul homme à la Maison-Blanche, ce qui rend les prévisions incertaines.
Propagation des flammes ou départ de feu maîtrisable ?
Quand la plus grande économie du monde éternue, d’autres pays toussent, dit-on. L’Europe ressent les premiers effets de la tempête américaine. Lors de l’annonce des droits de douane de Trump, l’UE a été confrontée à une mauvaise surprise : une taxe de 20 % sur ses exportations vers les États-Unis. Cela s’ajoute à une croissance relativement modérée de l’économie européenne. Les entreprises européennes – des constructeurs automobiles allemands aux brasseurs belges – sont brusquement confrontées à un accès bien plus cher au marché américain crucial, ce qui affaiblit leur compétitivité. De plus, si l’économie américaine se contracte, les exportateurs européens recevront moins de commandes.
Dans ce scénario, la Banque centrale européenne sera confrontée à un défi similaire à celui de la Fed. D’une part, l’inflation reste un peu trop élevée en Europe et, d’autre part, de nouveaux vents contraires économiques menacent de souffler en raison des tensions commerciales. Des baisses de taux supplémentaires pourraient s’avérer nécessaires pour éviter un ralentissement plus important de la croissance. En outre, la demande d’incitants fiscaux s’intensifie. En Allemagne, qui est traditionnellement sobre, de vastes programmes d’investissement sont déjà en cours. Ce type de dépenses publiques pourrait constituer un tampon.
Pendant ce temps en Chine
La Chine, deuxième économie mondiale, brave également la tempête avec une taxe musclée de 34 %, en plus de la taxe de base de 20 %. Voilà qui menace d’étouffer la machine d’exportation chinoise, même si le pays a d’emblée réagi par des contre-mesures. La croissance chinoise ayant ralenti depuis quelques années, une guerre commerciale est très inopportune. Pékin s’est préparé en prenant des mesures de relance dans son propre pays : investissements publics supplémentaires, réductions d’impôts et soutien à la consommation. L’idée est de permettre à l’économie de profiter davantage de la demande intérieure alors que les exportations deviennent plus difficiles. En réalité, la Chine s’essaie à cet art depuis des années – avec un succès mitigé – mais l’urgence est maintenant bien plus aiguë. Pour 2025, la Chine aura du mal à atteindre l’objectif de croissance de 5 % si les États-Unis entrent en récession.
Les marchés émergents en ligne de mire
Les marchés émergents sont particulièrement vulnérables aux vagues de chocs mondiales. De nombreux pays en développement sont fortement tributaires du commerce mondial et des flux d’investissements occidentaux. En cas de récession aux États-Unis et de baisse de la demande de matières premières et de marchandises, ils le ressentiront directement. De plus, l’incertitude accrue pousse les investisseurs internationaux à éviter les risques. Le modèle classique apparaît alors : les capitaux fuient vers des valeurs refuges – obligations d’État américaines et européennes, or, yen japonais – et quittent les marchés plus risqués.
Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs ?
Pour les investisseurs, il s’agit d’une période agitée. Toutes les bourses ont immédiatement réalisé une chute vertigineuse. Wall Street a connu sa pire journée depuis des années après la publication des nouvelles taxes. Dans un tel climat, il est important d’examiner vos placements de manière critique et de revoir éventuellement les positions pour plus de sécurité. Voici quelques mesures concrètes pour gérer la crainte d’une récession en tant qu’investisseur :
- Revoyez votre exposition aux actions : Historiquement, les actions ont le plus souffert des récessions, en raison d’une chute des bénéfices des entreprises. Cela ne veut pas dire que vous devez tout vendre – le timing du marché est très difficile et une reprise peut suivre rapidement un creux. De plus, à long terme, l’économie mondiale affiche davantage de croissance que de contraction. Pour certains investisseurs, il peut toutefois être judicieux de réduire un peu le risque. Ils peuvent par exemple se tourner vers les secteurs défensifs : dans les entreprises de consommation de base (supermarchés, producteurs alimentaires), l’industrie pharmaceutique/des soins de santé et les services aux collectivités, la demande est plus stable, même en période de récession. De telles actions ne sont pas à l’abri des baisses de cours, mais elles résistent généralement mieux que le marché au sens large. Les entreprises de qualité avec des bilans solides et des flux de trésorerie fixes (p. ex., certaines entreprises de télécommunications ou d’infrastructure) peuvent être plus attrayantes si les investisseurs misent davantage sur la sécurité.
- Obligations : Les obligations peuvent servir d’amortisseur dans le portefeuille. Pourquoi ? À l’approche d’une récession, les banques centrales baisseront probablement les taux d’intérêt, avec une hausse des cours des obligations existantes à la clé. D’autre part, si l’inflation accuse une forte hausse à cause des taxes à l’importation et que les banques centrales doivent relever nettement les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation, cela peut être préjudiciable pour les détenteurs d’obligations. Même si les obligations peuvent servir de filet de sécurité : tout n’est donc pas noir ou blanc et la méticulosité est importante.
- Or : L’or est souvent appelé l’assurance de crise ultime. Historiquement, le métal précieux affiche de bonnes performances en période de faible croissance et d’incertitude politique. Le prix de l’or est déjà monté en flèche, mais pourrait encore augmenter si les investisseurs du monde entier cherchent une valeur refuge résistante à l’inflation. Il convient toutefois de noter que l’or ne rapporte pas d’intérêts ou de dividendes, il s’agit purement d’une réserve de valeur.
- Cash (dans une certaine mesure) : En période d’incertitude, il peut être utile de détenir un peu plus de liquidités. Les liquidités offrent de la flexibilité et vous évitent de devoir vendre des placements à un moment défavorable. Supposons que le marché continue de baisser – un peu de liquidités en portefeuille vous permettront de prendre des actions de qualité par la suite. Gardez bien entendu à l’esprit que l’argent liquide est peu à peu dévoré par l’inflation. Il ne s’agit donc pas d’un placement à long terme.
- Diversification et long terme : N’oubliez pas le vieil adage : « Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier. » Répartissez vos investissements entre différentes régions, divers secteurs et plusieurs instruments. Un rééquilibrage peut être indiqué pour certains investisseurs.
- Gardez votre calme. Il est compréhensible que l’idée d’une éventuelle récession suscite en vous de la nervosité, mais la panique est mauvaise conseillère. Veillez à ce que votre portefeuille corresponde à votre capacité et à votre horizon. En bourse, les journées les moins performantes sont souvent proches des meilleurs jours. Si vous passez à côté de ces bons jours, le retard peut augmenter considérablement.